Le cinéma est un domaine où le sexe n’a jamais été l’apanage d’un cercle. Pourtant, très tôt dans son histoire, des films X ont été conçus pour les hommes qui aiment les hommes. L’Enfer de la Bibliothèque nationale en détient les secrets, exposés toutefois à l’occasion, comme ce fut le cas en 2007-2008, toutes sexualités confondues, et avec un succès public qui rend le catalogue de cette exposition introuvable aujourd’hui.
Par Cyril Mestourt
Cependant, l’objet de cet article est d’évoquer, les lieux français de diffusion de ces films X… pour le plus grand plaisir des spectateurs. Ils mettent à l’honneur les acteurs, les salles, les couloirs parfois, les pissotières souvent. Rencontres favorisées par l’anonymat d’un domaine clos environné d’ombre, presqu’exclusivement viril, ouvert aux tentations d’une main (ou plus) offerte, sans autre condition que le partage d’un plaisir furtif, favorisé par des images moins érotiques que franchement pornographiques, le plus souvent hétérosexuelles.
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Les maisons closes ont d’abord distribué les films pornos. Les plus fameux avaient souvent l’allure d’un hôtel « bien sous tout rapport », comme le Marigny à Paris. Il existe toujours mais s’est reconverti dans l’hôtellerie traditionnelle. Les « invertis » fréquentèrent ces salles et participèrent à dans « la réunion d’adeptes de la débauche antiphysique ». Ces lieux bien qu’autorisés, du moins institutionnalisée, étaient sous surveillance hautement policière.
Les films permettent de patienter, d’entretenir la flamme, en attendant son tour. Il est d’ailleurs amusant de signaler que le Pathé Journal, fameux cinématographe des frères Lumière – auteurs du non moins célèbre Arroseur arrosé (aucunement classé X en dépit d’un titre disons prometteur) – occupa dès 1896 l’espace qui devait devenir dans les années fastes du Gay Paris, années 80, le ciné-club Les Rangers, au 6 du boulevard Saint-Denis, avant de muer en… supermarché, pas sexuel du tout.
Tout proche, presqu’en face à vrai dire, une adresse mixte invitait toute la population sexuée à se rencontrer dans un établissement clairement déclaré « ciné porno » : « Le Strasbourg, 1 salle au 8 boulevard BonneNouvelle ».
Une salle… Détail important. Une fois assis, on est moins tenté de quitter la place pour aller voir ailleurs. C’est autant le cas si le film est meilleur ou le voisin plus joli ou encore moins timoré. On fait le plus souvent avec. Et cela se joue ainsi.
Sans manière, sans prétention, et parfois hélas aussi sans prévention. La sexualité est gratuite et libre Le film, hétéro, assez souvent humoristique, un prétexte.
Là, comme ailleurs. La Scala par exemple, « 2 salles au 13 boulevard de Strasbourg », café concert construit en 1873, inspiré de la Scala de Milan (quand même !) vit se produire Mistinguett (et ses gambettes) et programma des revues populaires, dont l’inénarrable Paris fin de sexe, absolument prémonitoire puisque l’endroit devint un des cinémas les plus chauds de la capitale en 1977 et, en 2016, un « un théâtre d’art privé au service de la création. » Ce qu’il était, dès l’origine. A chaque époque ses spécificités. Et ses excentricités. L’église universelle du royaume de Dieu n’avait-elle pas acquis La Scala en 1999 pour en faire un temple ?
Spécificité première de ces cinémas X, un brassage sociétal incomparable, entre la rue Saint-Denis, la rue du Sentier, le Passage du Caire et Strasbourg-Saint-Denis, toutes les franges multi culturelles d’une France multiraciale, en expansion dans les années 1970, se retrouvent là, tout simplement et, sympathiquement, tous statuts sociaux confondus.
En fait, les 70s ont d’abord marqué l’inexorable avènement du « porno ». Deep throat – Gorge profonde – de Gerard Damiano a fait « le buzz » et ce partout dans le monde en 1972. On y vante des amours libérées où les corps s’affichent avec jubilation, clairement, complètement. Au féminin. Et au masculin. Le vigoureux – et très moustachu – Harry Reems devient une icône mixte. Il inspire. Jean-Pierre Armand en France, par exemple, ex « Mister France 1970 », surnommé « La légende ». A son actif : 7000 films X, 15000 femmes, 35 ans de carrière et un nombre incalculable de scènes de « partouzes » au programme de : La Clinique des fantasmes (1978) ; Dans la chaleur de Saint-Tropez (1982) ; Tintin chez les négros (1998). Des titres qui disent et montrent tout, avec une insouciante, voire inconsciente diversité que la censure actuelle interdirait, sous tous les prétextes.
Des films « hétéros » qui exhibent de joyeuses parties carrées, en toute camaraderie (Dominique Aveline, Roberto Malone, Marc Barrow, Zenza Raggi… ), scènes bi pas forcément proscrites (Robert Leray, ex-doublure lumière de Jean Gabin en est un spécialiste assumé, autant que Piotr Stanislas, partenaire et meilleur ami de Jean-Pierre Armand, qui ajoute à son palmarès « reverse » l’auto-fellation en version grand-écran). Tous ces ingrédients favorisent un libertinage sans complexe dans les salles qui se multiplient alors à Paris, et partout ailleurs. On y joue. Et on y jouit. Sans complexe, comme le voisin.
Chacun a son adresse, et son quartier. Le Latin attire naturellement une tranche plus restreinte, comme le Bastille-Palace, 4 boulevard Richard-Lenoir. Trop visibles peut-être, en dépit de devantures aguicheuses. Ceux, près des gares, sont favorisés, entre deux trains, par les passagers en transit…
La multiplicité grandissante des Clubs dans les années 80, la surenchère immobilière, l’arrivée d’internet tuent peu à peu ces commerces de proximité, stricto sensu. Le dernier, à tout le moins officiellement, Le Beverley, a fermé ses portes parisiennes le 23 février 2019. Les Atlas, 20 boulevard de Clichy à Pigalle, résiste en dépit d’une programmation indigente. Exception véritablement nationale, le cinéma L’Aquitain, 229 Cours de la Marne, à Bordeaux, garde la fierté de ce qu’il est. On y vient de la gare, favorablement proche, et de toutes les régions plus ou moins avoisinantes, tant l’accueil et la fonction sont au diapason des films à l’affiche, où défilent presqu’avec nostalgie les stars d’un cinéma rendu muet dans les années 1990, au profit d’une solitude avérée pour un spectateur isolé.