Depuis dix ans, il est le seul photographe londonien à se consacrer entièrement aux sujets fetish. Que ce soit pour des portraits ou des mises en scènes, pour des anonymes ou des magazines, ses clichés chargés en testostérone fleurent bon le cuir dans des rémi- niscences Tom of Finland ou cruising. Nous avons eu le plaisir de le rencontrer alors qu’il était de passage à Paris pour le week-end fetish de l’ASMF et de l’ECMC.
Propos recueillis par Nicolas Maille
MATT, CE N’EST PAS TA PREMIÈRE FOIS À PARIS…
J’adore la France. J’ai dû venir au moins 25 fois à Paris. J’ai aussi vécu deux ans à Lyon quand je faisais des études de français et de poli- tique. J’ai encore beaucoup d’amis là-bas !
ET DU COUP, TU EN PENSES QUOI DE NOTRE SCÈNE FETISH ?
Votre communauté me semble très naturelle. Elle n’est pas régie par des boutiques ou des sociétés. C’est génial, aussi, d’avoir un bar comme La Mine, où l’on peut venir looké à n’importe quel moment de la semaine. À Londres, les mecs ne se socialisent plus trop en cuir mis à part lors d’événements spéciaux. Ils préfèrent utiliser les applis de rencontre…
TU ÉTAIS JURY POUR L’ÉLECTION DE MR LEATHER EUROPE 2019. SI TU DEVAIS PHOTOGRAPHIER EVERT LEERSON, LE GAGNANT, TU LE VERRAIS COMMENT?
Oula ! Il faut que je pense au concept [rires] ! Je ne le vois pas dans quelque chose d’underground. J’imagine un truc plutôt classe : de beaux portraits sur un canapé Chesterfield, par exemple.
« Avant même de savoir que j’étais gay, je savais que j’aimais le cuir ! »
LE RESTE DE L’ANNÉE, TU VIS À SOHO, C’EST BIEN ÇA ?
Oui, j’y ai mon studio. Pour moi, c’est le meilleur endroit de Londres, c’est tellement ouvert ! On peut être qui l’on veut. Quand je fais des shooting en extérieur, je peux photographier un mec en jockstrap et en harnais en pleine rue, et personne ne bronchera. Il y a plein de ruelles différentes, des graffitis. C’est un quartier bohème très vivant.
TE SOUVIENS-TU DE TES PREMIERS ÉMOIS FETISH ?
Avant même de savoir que j’étais gay, je savais que j’aimais le cuir, la matière. Le stimulant a d’abord été visuel. Je me jetais sur les catalo- gues de vente par correspondance de ma mère pour découper les photos de la page motards que je cachais ensuite dans ma chambre. J’aimais aussi regarder des films où les mecs portaient du cuir.
LESQUELS EN PARTICULIER ?
Hum… Sûrement Grease. Il n’y a pas beaucoup de « leather queens » qui te diront ça [rires] ! Ensuite, bien sûr, j’ai découvert Cruising, beaucoup plus chargé en sexualité. Mais je crois que j’ai compris que j’aimais les garçons et le cuir en voyant la pochette de l’album Faith de George Michael.
ET LA PREMIÈRE FOIS OÙ TU AS SAUTÉ LE PAS ?
J’étais à l’université. Ma mère m’avait donné un peu d’argent. Je me suis précipité dans une boutique qui vendait des vêtements de cuir. J’étais hypernerveux. Quand j’ai passé mon premier pantalon dans la cabine d’essayage, j’ai eu une érection ! Plus tard, j’ai commencé à travailler pour une boîte de prod télé. C’était les débuts d’Internet. Toute la journée, je matais en douce des photos que j’imprimais ensuite pour en faire des cahiers. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai décidé d’intégrer la scène fetish.
« Quand j’ai passé mon premier pantalon dans la cabine d’essayage, j’ai eu une érection »
AVANT DE FAIRE DE LA PHOTO, TU AS D’ABORD ÉTÉ ESCORT PENDANT DIX ANS…
J’en avais marre de mon travail et de mon boss. Je voulais recommencer une nouvelle vie et j’avais besoin d’argent. À l’époque, il n’y avait pas de jeunes escort fetish. Dominer des mecs de cinquante ans quand on en a 25, ce n’était pas courant et, à la limite, choquant. Mais, même si c’était flippant, j’ai quand même décidé de sauter le pas et je ne regrette rien. Cela m’a aussi permis de me faire un nom. Avant de commencer la photographie, beaucoup avaient déjà vu ma tête dans les pages escort des magazines ou dans les vidéos solos que je faisais.
LA PHOTO, ÇA T’EST VENU QUAND ?
J’ai grandi au milieu des appareils photos et des pellicules. Mes deux grands-mères étaient photographes. L’une faisait de la retouche directement sur négatif ! Le Photoshop des fifties [rires] ! Ça m’a toujours intéressé. J’avais déjà suivi quelques cours et je me suis dit : « Pourquoi ne pas lier mes deux passions : la photo et le cuir ? » Je ne comptais pas être escort toute ma vie. Alors j’ai commencé à chercher des modèles sur les applis de rencontre. Et, de fil en aiguille, les gens ont commencé à me payer pour ça.
COMMENT DÉCRIRAIS-TU TON STYLE ?
Pour moi, le fetish a toujours été une expérience visuelle très forte, tant esthétique que sexuelle. Je veux montrer l’érotisme, les fantasmes, la masculinité qu’il y a derrière. Visiblement, ça parle aux gens car mes photos ont vite eu du succès. J’aime aussi m’attaquer à certains tabous. Je peux, par exemple, photographier un mec en talons aiguilles, ou bien évoquer des sujets comme la transidentité, la drogue, ou le racisme… Je suis l’un des rares photographes fetish, en Angleterre, à faire, par exemple, appel à des modèles Blacks.
EN DEHORS DU CUIR, Y A-T-IL D’AUTRES FETISH QUI T’EXCITENT ?
J’ai toujours trouvé fascinant les mecs qui fument le cigare. Les tatouages aussi. Je ne suis pas « body fascist » mais, si je dois choisir un modèle, j’aime bien qu’il soit imposant, ait les épaules larges et la taille fine. C’est sûrement la faute de Tom of Finland [rires] !
« Le fetish a toujours été une expérience visuelle très forte, tant esthétique que sexuelle »
TU PARLAIS DE LA DROGUE. TU AS RÉCEMMENT FAIT UNE SÉRIE AUTOUR DU « CHEMSEX ». POURQUOI ABORDER CE SUJET ?
J’avais enchaîné les portraits… J’avais envie de quelque chose de plus politique. À l’époque, beaucoup de mes amis, et mon mec, consom- maient du « Crystal ». Je sentais qu’il y avait là un sujet à traiter. Un chirurgien esthétique suisse m’avait engagé pour le photographier avec des escort qu’il relookait à la mode Tom of Finland. Il aimait notamment que je les prenne en train de s’injecter de la drogue. J’ai gardé de ces séances une dizaine de photos dont j’ai masqué les visages. Puis, j’ai rencontré David Stuart qui supervise, à Londres, un centre de santé LGBT dédié aux addictions. Il m’a proposé d’intégrer le collectif d’artistes et d’activistes qui collaboraient sur un documentaire autour du chemsex produit par Vice.
COMMENT CES PHOTOS ONT-ELLES ÉTÉ REÇUES?
C’est le projet qui a été le plus médiatisé. Il a été exposé plusieurs fois, à Londres, mais également dans de grandes villes européennes. Les réactions ont été très tranchées. On m’accusait de sublimer l’usage des drogues. J’avais envie de répondre : « Si vous trouvez ces images sexy, il faut plutôt vous demander pourquoi ! » Car, pour moi, elles sont violentes et très brutales ! Beaucoup d’amis ont sombré dans la drogue et je n’y ai vu que des choses négatives.
TU VIENS DE POSER POUR NATHALIE DUMAS QUE NOUS AVIONS RENCONTRÉ DANS LE PREMIER NUMÉRO DE FETISH. TOI QUI AS L’HABITUDE D’ÊTRE PLUTÔT DERRIÈRE L’OBJECTIF, ÇA CHANGE QUOI D’ÊTRE MODÈLE ?
Être l’objet de photographies n’est pas inconfortable, juste différent. Nathalie a l’œil et travaille très vite. Dans son esprit, il y a un milliard de photographies. J’aime beaucoup son travail. Donc, pour moi, le plus important, c’était surtout d’être à la hauteur !
TU AS ORGANISÉ DES SOIRÉES POUR RETROUVER L’ESSENCE DU FETISH. TU N’EN AS PAS MARRE, JUSTEMENT, QUE L’ON UTI- LISE CE MOT À TOUTES LES SAUCES ?
Effectivement, aujourd’hui, c’est devenu un « mot-valise » qui ne veut plus dire grand-chose. On mélange sexualité et tenues vestimen- taires. On met un harnais, des baskets et on a l’impression d’être un rebelle [rires] ! Alors, qu’à mes yeux, c’est un état d’esprit. Quelque chose de tellement « viscéral » que le sexe en devient secondaire. J’ai hâte qu’on lui redonne son sens premier.