Il y a des pièces qu’on a bien du mal à définir, à faire rentrer dans des cases, tant elles font figures d’ovnis théâtraux. Cette œuvre écrite et interprétée notamment par Henri Courseaux fait partie de celles-là, mais dans le bon sens du terme: les invraisemblances s’y multiplient, l’absurde se conjugue à un lyrisme exacerbé et le rire s’allie au drame. Le tout au service d’une douce philanthropie caressante…
Par Grégory Ardois-Remaud
« Je suis là », tirade répétée à plusieurs reprises, aurait pu être un titre parfaitement adéquat pour cette parenthèse que représente la pièce signée par Henri Courseaux et la rencontre entre Madeleine, jeune cadre commerciale [interprétée par Marie Frémont], et Léon [Henri Courseaux lui-même], écrivain d’une soixantaine d’années, en mal d’écriture. Une rencontre donc, de l’amour peut-être, de la tendresse sans doute, mais pas que…
En effet, tour à tour, le spectateur peut être ému par ce duo improbable, désarçonné par l’inventivité du texte, enjoué par l’espièglerie verbale de son auteur. Il reste toujours captivé par cette joute entre les deux personnages, tels des équilibristes qui se donnent tellement l’un à l’autre pour essayer de ne pas tomber. Le voyage se décline, se prolonge et s’amplifie dans une jolie rêverie salutaire. Les invraisemblances s’allient à de multiples mises en abyme, à des comédiens qui jouent plusieurs rôles, à une poésie textuelle toujours dans un entre-deux, comme si la fiction et la réalité avaient des frontières pour le moins fluctuantes.
« Le voyage se décline, se prolonge et s’amplifie dans une jolie rêverie salutaire »
Mais cette petite perle de la rentrée théâtrale parisienne doit également sa grande qualité à la mise en scène de Stéphane Cottin, à qui l’on doit déjà le vénéneux et jouissif Lauréat du printemps dernier [au théâtre Montparnasse]. Une fois de plus, ce touche-à-tout propose une approche globale du théâtre, avec une inventivité non gratuite du décor et de la scénographie. Le spectateur demeure ainsi pendant les 90 minutes de spectacles, comme flottant au cœur d’un bijou fragile, précieux, mis en place sur un écrin subtil et élégant.
Finalement, la rencontre de ces deux solitudes aurait pu être d’une tristesse abyssale. Mais c’était sans compter l’espièglerie de l’auteur, la générosité des acteurs et la caresse du metteur en scène. On ne s’y était pas trompé : on pensait ressortir les larmes aux yeux, on est en effet ému, mais plutôt comme transportés par une bulle de tendresse pleine d’optimisme.
ÇA PARLE DE QUOI ?
Deux personnages que tout oppose : leurs âges, leurs origines sociales et leurs cultures. Un vieil écrivain [ancien prix Goncourt] en mal d’inspiration et une jeune cadre commerciale, bientôt licenciée. Ce qui se noue, lors de leur improbable rencontre sur un quai de gare, n’est pas seulement une impossible histoire d’amour transgénérationnelle mais aussi l’affrontement de deux logiques, de deux solitudes assoiffées.
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Au Studio Hébertot jusqu’au 18 novembre