Après une enfance passée à Tahiti, Olivier Ciappa débarque en France métropolitaine avec la farouche volonté d’exercer le métier de direction d’acteurs et la réalisation de court-métrage. Aucune formation, Olivier est un autodidacte animé d’une détermination sans faille et d’une inépuisable énergie. Un talentueux touche à tout qui ne s’interdit aucune discipline artistique du moment qu’elle satisfait son besoin d’expression. Nous avons rencontré celui qui est devenu un des porte-étendards des droits LGBT afin de revenir avec lui sur son actualité et en écho, sur la nôtre.
Bonjour Olivier, ta série «Les couples imaginaires» en plein débat sur le mariage pour tous t’as mis sous les feux des projecteurs médiatiques. Raconte-nous la genèse de cette oeuvre?
J’étais en train de travailler à l’écriture d’un roman pour enfants. Mais à un moment, je n’arrivais plus à me concentrer. J’étais obsédé par tous les débats autour du mariage pour tous qui ont commencé pendant la période des élections présidentielles. Il est arrivé un moment où je n’arrivais plus rien à faire d’autre. Alors que mon cerveau devait se concentrer sur les actions des personnages de mon roman, je ne pensais qu’aux horreurs que j’entendais pendant ces débats. J’ai alors éprouvé le besoin de voir des images représentant l’homosexualité qui ne soient ni érotiques ni caricaturales. Je n’en trouvais pas. Des images devant lesquelles tout le monde
pouvait s’identifier. Des images qui viendraient prendre le contre-pied des discours de l’extrême-droite et des homophobes. Aucune célébrité ne s’exprimait non plus à cette époque. J’ai alors décider de créer moi-même ces images.
Pourquoi vouloir impliquer des célébrités?
Pour plusieurs raisons. Je voulais les engager sur des questions comme l’homophobie, le mariage, la filiation, la PMA, la GPA. Et indirectement engager la presse qui restait trop discrète. Je me suis dit que si les magazines, les quotidiens avaient à disposition des photos de célébrités françaises, ils seraient tentés de les publier. Et donc de publier le message de la photo plus le message de la célébrité écrit à la main dessus. Et ça a marché. Ensuite, pour les Couples Imaginaires, ces personnalités représentent nos modèles. A travers ces photos, leur message était bien plus fort qu’en signant un manifeste dans Le Monde. Elles disent indirectement « voilà comment nous concevons votre sexualité, vos familles. A l’opposé de tout cliché ». Et je comptais sur leur image
à la fois pour faire changer les mentalités des personnalités réticentes, mais aussi pour permettre d’apaiser, de panser tous ceux d’entre nous qui étions humiliés tous les jours.
Comment as-tu pu convaincre autant de célébrités?
Ca n’a pas été simple. J’ai du éviter le circuit traditionnel des agents et attachés de presse qui ne m’ont tous donné que des refus. J’ai passé plus de neuf mois à attendre chaque célébrité à la sortie des concerts, des émissions de télé, des théâtres, des avant-premières. Je leur présentais
mon travail, ma technique, mon projet. Toutes ont accepté.
Heureusement que tu ne t’aies jamais découragé. Et ensuite, qu’est-ce qui a guidé tes choix dans la composition des couples?
Pas vraiment de règle. Les deux protagonistes sont souvent adversaires ou ennemis dans leur discipline, opposé(e)s dans leur image. C’était un beau moyen de dire « ça suffit, il y a des sujets qui sont trop graves pour continuer à se quereller. Certains sportifs concurrents ou même des
comédiens dont les personnages sont opposés au cinéma.
La publication de ces portraits a eu un impact retentissant. Les opposants ont vivement réagi.
Oui car ils ont eu peur à leur tour. Il faut comprendre qu’ils ont déployé des moyens gigantesques pour faire entendre leur discours discriminatoire, voire de haine. On a tout entendu sur nous, que les homos sont des pédophiles, des zoophiles, des pervers dépravés qui vont mettre en danger
les enfants, la société, le monde. Puis d’un seul coup, avec quelques photos artistiques, le regard qu’une partie des citoyens portaient sur nous a changé de façon positive. Sont alors venus les
coups de fil anonymes, les menaces de mort. Sans l’arme de la peur ils ne restaient aux opposants, du moins à quelques excités, que la violence.
Ces menaces ont-elles bouleversé ton quotidien?
Dans mes déplacements publics et annoncés, je suis accompagné de gardes du corps. Car après les couples imaginaires j’ai récidivé en quelque sorte.
Multi-récidiviste artistique? explique-nous.
J’ai été choisit m’a choisit pour redessiner le visage de la France qui est disponible dés maintenant sur quinze milliards de timbres. Ce qui a fortement irrité la droite dure et les militants anti-mariage. Lorsque j’ai annoncé qu’Inna Schevchenko, leader féministe des Femen était l’une
de mes inspirations fut interprété comme une provocation à la fois de ma part, mais aussi de celle de François Hollande. En effet la tradition veut que chaque nouveau président choisisse l’artiste qui redessinera le visage de la Marianne pour les cinq années à venir. Or, François Hollande a
souhaité que ce soit les lycéens de France et des Dom Tom qui votent. Lui n’aurait eu qu’à départager les trois finalistes. Mais vu que je suis arrivé largement en tête et que mon timbre était aussi son préféré, le choix s’est vite fait.
Et les lycéens ont voté pour toi en sachant parfaitement qui était représenté sur le dessin?
Oui bien-sur. Ils ont voté pour trois choses : la beauté du dessin, les symboles de la République dans le dessin, et la biographie de la personne servant de modèle. Donc indirectement, c’est le premier vote qui a eu lieu en faveur de l’égalité des droits (rires).
Tu as donc focalisé la haine des homophobes. Cette haine a trouvé son paroxysme lors du saccage de l’exposition des couples imaginaires en juin à la mairie du 3e.
Je suis devenu un des indicateurs du niveau d’homophobie en France. Si aujourd’hui le gros du débat est passé, la haine demeure. Certains opposants sont dans un état d’esprit radical qui peut se résumer par «on a perdu une bataille mais pas la guerre». Ils ont d’ailleurs gagné une partie du
combat. La loi n’est pas aboutie sachant que la PMA n’en fait plus partie sans parler de la GPA. Pire, il y a eu une libération de la parole homophobe sans précédent. Cette homophobie est devenue palpable, visible publiquement et souvent assumée. La génération actuelle va devoir assumer son homosexualité et la vivre avec cette réalité de l’homophobie au quotidien.
Tu veux dire que le vote de la loi a eu comme effet paradoxal de créer un surplus d’homophobie?
Je dis que les opposants ont réussit leur pari : Il suffit de regarder autour de nous. Se promener dans la rue main dans la main avec son mec suscite peut-être plus qu’avant des regards troublés, gênés, (voire dégoûtés) de la part des passants. La violence des débats a laissé des traces. C’est
comme si chaque avancé (ou volonté d’une avancé) sur les droits des Hommes impliquait son mouvement contraire. C’est un constat mondial, il n’y a qu’à prendre l’exemple de la Russie aujourd’hui.
Ton engagement pour la cause LGBT t’a conduit à te mettre en danger. L’engagement extrême est une vocation chez toi?
A l’origine je suis un militant de la cause féministe. Mais on s’aperçoit, avec le combat des Femen par exemple, que nos causes sont liées. On défend l’égalité des droits, les liberté individuelles, les fondamentaux de notre République, Liberté, Egalité, tout est là. Quand on cherche à m’atteindre dans mon intégrité, à atteindre mes amis, quand on nous traite de pédophiles ou d’assassins, à un moment, c’est trop. Je ne peux rester sans réagir. J’ai un farouche besoin
d’entendre un autre discours, un besoin de voir les mentalités évoluer. Je ne réfléchis même pas, je fais alors tout ce que je peux faire pour répondre à ce besoin. Mes réponses passent par l’expression artistique.
Suite aux Couples imaginaires et à la Marianne, tu es devenu de facto un porte-étendard de la communauté LGBT et de la lutte contre les inégalités. Comptes-tu comme artiste poursuivre dans ce rôle ou tourner la page?
Beaucoup de gens autour de moi me conseillent de passer à autre chose. Mais pour l’instant, rien n’est abouti, quand on voit ce qui se passe dans le monde, mon besoin est toujours présent. Et il y a la responsabilité que j’ai vis à vis de ceux qui veulent voir mes photos, de faire vivre l’exposition, de l’agrandir, de la rendre itinérante en France comme à l’étranger. Je reçois des centaines de messages par jour (plusieurs dizaines de milliers de personnes suivent Olivier sur Facebook), une minorité heureusement sont des insultes ou des menaces. J’ai une vraie responsabilité vis à vis de ceux qui s’intéressent à mon travail que je ne peux pas nier ou me défaire aujourd’hui.
Cela va-t-il passer par de nouvelles séries de couples imaginaires par exemple?
Oui pourquoi pas. Mais aussi par la diffusion des photos dans des pays où l’homosexualité n’est pas ou peu acceptée. Les combats à mener sont dans ces pays comme la Russie. Il ne faut pas baisser les bras maintenant. Je travaille dans ce but avec des associations comme Aides.
Comment se passe ta collaboration avec les associations LGBT?
Je les ai sollicité. Je trouvais là aussi qu’il était important de fédérer nos ressources et mettre en commun nos énergies. J’ai donc décidé de léguer mes droits photos à six associations comme Aides, Le Refuge, SOS Homophobie, Ardhis, le Link et Ravad. Quand il y aura une vente aux enchères de mes photos, livres, etc, les revenus de la vente leur reviendront.
Engagé et désintéressé. C’est indissociable pour toi?
C’est une question d’honnêteté intellectuelle et artistique. Je ne peux pas décemment faire de l’argent avec des photos de célébrités alors qu’elles ont elles-mêmes pris en charge une partie des frais afférents à la séance photo. Lara Fabian par exemple, je pense à elle car c’est une artiste
très investie dans la cause homo, qui a pris à son compte le voyage pour elle et son staff, l’hôtel, le coiffeur, maquilleur etc. Je ne me sens pas par conséquent gagner de l’argent sur ce projet alors que les célébrités ont activement participé financièrement.
Imagines-tu un jour l’aventure des «Couples imaginaires» enfin aboutie?
Je ne sais pas. Le jour où je ne recevrais plus trop de messages de soutien, d’encouragement, où les gens réagiront moins à mes photos, où le message véhiculé par l’expo sera majoritairement accepté. Alors oui je pense que je passerai à d’autres projets, reprendre tous ceux que j’ai mis
entre parenthèses. Mais nous n’en sommes malheureusement pas là.